mardi 28 mai 2013

"Le secret des balles", ou 3 minutes et 9 secondes pour commencer à douter

La question centrale pour un journaliste, je crois, c’est celle du doute. 
C’est très sain le doute. Si vous ne doutez pas, vous ne pouvez pas être journaliste
Il faut douter évidemment de tout, à commencer de la version officielle. 
Ce qu’il faut dans notre métier, c’est de livrer une information qui soit la plus rigoureuse possible.

Extrait du générique de : "le secret des sources", sur France Culture


La citation mise ci-dessus en exergue pointe une évidence qui, en ces temps de relativisme sans frontière, confine au lieu commun, et il y aurait certainement à faire la critique de ceux qui ne doutent jamais de leurs doutes, oubliant que la valeur du doute est aussi dans l'élaboration de nouvelles convictions. Du reste, l'auteur anonyme des paroles reprises dans le générique du "secret des sources" souligne avec raison qu'il s'agit, pour le journaliste, de livrer une information aussi rigoureuse que possible. Ces précisions faites, on ne peut qu'être saisi par le rapprochement de ce rappel fondamental (Si vous ne doutez pas, vous ne pouvez pas être journaliste) avec la réponse de Charles Enderlin à une question que lui a posée Elena Brunet, du Nouvel Observateur, dans une interview  publiée en ligne le 21 mai 2013 :

-(E.B.) Avez-vous déjà douté de la version de votre caméraman Tahal Abu Rahma ?
- (C.E.) Talal est un employé de France 2 qui a reçu plusieurs récompenses internationales. Votre question est insultante.

Qu'un journaliste affirme se sentir insulté, lui ou sa chaîne, par la question pourtant assez naturelle de savoir s'il a déjà douté, ne serait-ce qu'une fois, d'une version d'un événement qu'il a rapporté, treize ans plus tôt, sans y avoir lui-même assisté, est en soi étonnant.

Lorsque, le 16 novembre 2004, sur Radio J, la directrice de l'information de France 2, Arlette Chabot, a déclaré
"On ne peut pas dire à 100% que ce sont les Israéliens, on ne peut pas dire à 100% que ce sont les Palestiniens"
elle a de fait mis en doute la version de Talal Abu Rahma (celui-ci affirme dans l'interview ci-après que les soldats israéliens ont visé pendant près d'une demi-heure le père et l'enfant immobiles, affirmation reprise par Charles Enderlin dans son commentaire du 30 septembre 2000 : "Ici, Jamal et son fils Mohammed sont la cible de tirs venus de la position israélienne"). Est-ce à dire que Charles Enderlin s'est senti insulté, personnellement ou pour France 2, par la directrice de l'information de France 2 ?

En mai 2013, presque treize ans après les faits initiaux, Charles Enderlin se sent insulté par la question de savoir s'il a jamais douté de la version de Talal Abu Rahma.

Pourtant, il suffit d'entendre Talal Abu Rahma affirmer, dans l'interview mise en ligne ci-après, que, durant 28 minutes d'abord, et 45 minutes en tout, les milliers de balles --- mais Abu Rahma parle seulement de centaines de balles --- que les soldats israéliens auraient selon lui tirées tout ce temps en direction précise de Jamal et de son fils Mohammed, immobiles, n'auront donné lieu qu'à quarante impacts sur le mur autour des deux personnes (Abu Rahma affirme les avoir comptés)... et de constater ensuite qu'il n'y a eu en fait que huit impacts pour commencer à douter, peut-être, de la version de Talal Abu Rahma. 

Et lorsqu'on entend ensuite, dans cette même interview, Abu Rahma, et que l'on voit son visage pendant qu'il s'emberlificote à propos d'un secret concernant les balles que France 2 aurait récupérées dans le mur (affirmation démentie par Arlette Chabot dans l'un des épisodes du procès que France 2 fait à Karsenty), la question qui se pose n'est pas de savoir s'il serait insultant pour France 2 ou ses employés de douter de la version d'Abu Rahma, mais bien plutôt celle-ci : 

Comment peut-on ne pas douter de la version de Talal Abu Rahma ?


Donc, si vous êtes de ceux qui n'ont jamais douté de Charles Enderlin, aurez-vous le courage de consacrer 3 minutes et 9 secondes de votre temps pour écouter Talal Abu Rahma dans les minutes 35'16'' à 38'25'' du document ci-dessous ?