mercredi 26 novembre 2008

Edwy Plenel et les barbares

Lors du colloque de l'UPJF consacré dimanche 23 novembre 2008 dernier au thème « Les démocraties face à l’antisémitisme », l'intervention d'Edwy Plenel a été particulièrement intéressante. Celui-ci aura notamment fait la leçon à l'auditoire, en invitant les Juifs que nous étions à suivre les recommandations d'ouverture du Rabin Sitruk, et à prendre exemple sur la démocratie israélienne, si diverse dans ses opinions quand les siennes étaient reçues un peu bruyamment, durant quelques secondes, au plus fort de ses provocations.
En somme, Plenel disait à l'assistance : je suis meilleur juif que vous ne l'êtes, et vous n'êtes guère tolérants. Pourtant, M. Plenel a pu s'exprimer fort longuement, sans être interrompu, et l'invitation faite par l'UPJF au très médiatique Plenel ne méritait certes pas de la part de celui-ci ces critiques infondées. En fait, tout comme Georges Marchais ou Jean-Marie Le Pen qui en leur temps consacraient souvent une grande partie de leur temps de parole à prétendre qu'on ne les laissait pas parler, j'ai eu le sentiment que M. Plenel aurait voulu pouvoir se poser en victime jusque dans cette assemblée attentive et plutôt respectueuse. Raté : les rares manifestations émotives d'une ou deux personnes dans le public auront vite été calmées par le président de l'UPJF, et M. Plenel aura même été applaudi à la fin, non pas à l'évidence par accord avec ses propos, mais pour le remercier d'avoir exprimé son point de vue.
Sur le fond, je suis pleinement d'accord avec la critique par Ivan Rioufol du procédé d'Edwy Plenel qui consiste à accuser de racisme toute critique de l'idéologie multiculturaliste, car souhaiter l'enrichissement mutuel des cultures n'est certes pas la même chose que de souhaiter qu'elles disparaissent toutes dans un mélange uniforme où toute idée d'identité se serait dissoute, et l'on ne voit pas le rapport entre le rejet de cette dernière option et un quelconque racisme.
Mais voici qu'après cette table ronde, je trouve Edwy Plenel dans le couloir en train d'asséner sa rhétorique bien rodée de néo-ancien-trotskyste à un jeune qui lui a posé une question que je n'ai pas entendue. Devant le flot de quasi-lieux communs magistralement tournés, je vois le jeune opiner du bonnet, comme hypnotisé par le sophiste professionnel. Soudain, j'entends Plenel dénigrer l'idée qu'il y aurait des  barbares. J'interviens :
- M. Plenel, les barbares, ça n'existe pas ?
Il se tourne vers moi, comme étonné qu'on ait osé le couper dans sa psalmodie, et après une fraction de seconde d'hésitation me lance : "si vous barbarisez l'autre, vous vous barbarisez vous-même". Toute la fausseté de la pensée de Plenel me semble condensée dans ce petit slogan. Je n'ai pas la présence d'esprit de lui demander si c'est Ilan Halimi qui a fait de Fofana un barbare, Plenel s'en va rapidement, je n'ai que le temps de lui lancer : "n'ayez pas peur, Plenel !", c'est-à-dire : n'ayez pas peur de regarder en face cette réalité de la barbarie, plutôt que de choisir d'accuser implicitement ses victimes d'en être à l'origine.
Du reste, avec son petit slogan paradoxal et néanmoins assez minable, Plenel ne semble même pas se rendre compte qu'il "barbarise" ceux qu'il accuse de "barbariser l'autre", et qu'à suivre sa propre logique il devrait en déduire qu'il est lui-même en train de se barbariser...
Mais non, il ne s'en rend pas compte, il préfère se rêver en non-juif qui serait en un sens un Juif véritable (ne nous a-t-il pas rappelé qu'il avait lui-même été insulté à une époque par des antisémites d'extrême droite qui le désignaient comme "Plenel l'enjuivé"), en position de faire la morale à ceux qui n'ont rien compris, qui ne sont ni ouverts ni tolérants (même s'ils l'ont invité à venir leur parler !), qui barbarisent les autres, etc., autrement dit ces Juifs de l'UPJF auxquels il s'adresse.
Je pense soudain aux horribles attaques terroristes qui ont lieu ce soir à Bombay. Je suppose que pour Plenel, les Moudjahidin du Deccan ne sont pas des barbares --- il ne faut pas barbariser l'autre, souvenez-vous --- mais, j'imagine, de pauvres gens dont il faudrait surtout essayer de comprendre les motivations ???

3 commentaires:

Anonymous a dit…

Plenel vous a certainement surestimé, puisqu'il fait explicitement référence à Levi-Strauss (Terminal) :

En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie.
Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Éd. Denoël-Gonthier, coll. Médiations, 1968, pp. 19-22.

Anatole a dit…

Je ne vois pas en quoi le fait que Plenel fasse implicitement référence à Levi-Strauss montre qu'il me surestime, et en quoi cela aurait-il un quelconque rapport avec le fond de la question, à moins de décider que Levi-Strauss aurait toujours raison d'une part, et d'autre part que son affirmation devrait être prise au pied de la lettre. Si c'était le cas, Levi-Strauss serait dans cette citation en train de nous dire : "voilà les barbares", donc il montrerait qu'il croit lui-même à la barbarie, donc à le suivre il en serait un lui-même. Eh bien non, je suis désolé, CLS n'est pas un barbare, pas plus que T. Todorov ou E. Plenel. Ceux-là sont simplement des gens qui pensent faux, ce qui n'est pas la même chose...

Anonymous a dit…

Je suis tombé par hasard sur votre article écrit fin 2008 "Edwy Plenel et les barbares".
Je partage largement votre pensée.
Etant chrétien catholique, je me considère également juif pour une part essentiel de mes valeurs morales et religieuses.
La barbarie d'Edwy Plenel provient essentiellement de l'absence manque de toute foi en Dieu. Le mental ne pourra jamais compensé le coeur.