jeudi 27 juillet 2006

Lettre au dessinateur Serguei

Lettre ouverte à Serguei (serguei@lemonde.fr), dessinateur au journal "Le Monde".
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le dessin de Serguei


Monsieur,

après la publication par votre journal du dessin que vous avez choisi d'intituler "Mémoire du sacrifice", je me suis rendu sur votre site http://www.serguei.fr/index2.html pour comprendre ce que vous aviez bien voulu dire avec cette botte juive ou israélienne, en tout cas marquée d'une étoile de David, écrasant trois personnages placés dans une posture rappelant la position du Christ sur la croix, croix que l'on retrouve sur le personnage central, signalant que les victimes de l'horrible botte ne sont pas des islamistes du Hezbollah, mais des civils libanais, notamment chrétiens.

Il y a à l'évidence de votre part une analyse très précise de la guerre qui sévit actuellement au proche-orient, et il semblerait que d'après vous "les Israéliens" (ou bien d'ailleurs "les Juifs" ? car je n'oublie pas vos références à la mémoire, au "sacrifice" (?), le Christ en croix, etc. ) massacrent délibérément les hommes, les femmes et les enfants du Liban.

Je n'ignore pas que cette accusation monstrueuse est régulièrement soutenue par votre journal et la plupart des autres médias de notre pays. Elle n'en demeure pas moins monstrueuse, car totalement infondée. Ce n'est pas nier la souffrance des libanais que de dire cela, mais seulement reconnaître que le seul objectif du gouvernement israélien et de son ministre travailliste de la défense est de protéger leur pays en neutralisant une force armée par l'Iran de dizaines de milliers de missiles, force de fanatiques faisant le salut nazi, qui s'appelle le Hezbollah, qui se terre au milieu des civils, qui a installé tout un réseau de postes militaires et de passages sous-terrains dans le sous-sol des maisons du sud liban, dans une stratégie clairement pointée par Monsieur Jan Egeland, chef des affaires humanitaires des Nations unies, lorsqu'il a déclaré lundi 24 juillet dernier :
"le Hezbollah doit cesser de se fondre lâchement (...) parmi les femmes et les enfants (...) J'ai entendu qu'ils étaient fiers parce qu'ils avaient perdu très peu de combattants et que ce sont les civils qui subissent le plus gros (des attaques). Je ne pense pas que quiconque devrait être fier d'avoir plus de morts parmi les enfants et les femmes que les hommes armés"((lire la dépêche AP))
déclaration que votre journal (dit de "référence" !) semble ne pas avoir reproduite, malgré son importance.

Dans le même ordre d'idée, je pense à la remarque simplement logique d'un membre de la diplomatie de l'un des pays dont un soldat de l'ONU est mort avant-hier suite à une dramatique erreur israélienne, je crois que c'est un finlandais, en substance : "Israël n'a aucun intérêt à se rendre impopulaire en bombardant volontairement des soldats de l'ONU, et tout indique qu'il s'agit effectivement d'une erreur, comme il s'en produit malheureusement dans toutes guerres". A moins de penser que les Israéliens sont sous l'empire du Mal (votre confrère Philippe Val, de Charlie Hebdo, qui en terme de caricatures est probablement au moins aussi compétent que vous, a écrit un édito sur ce thème que je me permet de reproduire à votre intention à la suite de ce courier), dites-moi quel intérêt Israël aurait à s'attaquer délibéremment à des civils innocents (je ne parle pas des combattants en tenue civile, probablement comptés comme civils) plutôt qu'aux forces du Hezbollah ?

Monsieur, sur votre site, un site sympa, cool, humaniste, et pacifiste, j'ai lu une sorte de poème comportant cette phrase :" toute mort est un génocide".

Voulez-vous donc dire que la mort de Hitler est un génocide ? Ou que la mort naturelle dans son lit d'un très vieil homme heureux d'avoir eu une belle vie est un génocide ? Vos dessins sont inquiétants, mais la légèreté avec laquelle vous utilisez le mot "génocide" l'est tout autant.

"toute mort est un génocide..." écrivez-vous dans votre poème. Voulez-vous dire que lorsque mon oncle, juif et résistant, s'est attaqué aux soldats nazis et a peut-être tué certain d'entre eux, il a commis un génocide ?

Que voulez-vous dire, Monsieur ?

Votre poème, sur votre site, par son humanisme affiché, montre que vous n'êtes pas le mauvais bougre. Les pacifistes comme vous ne sont jamais de mauvais bougres. En 1940, mon oncle n'était pas pacifiste, puisqu'il participait à la Résistance, armes à la main : les pacifistes, eux, acclamaient Pétain.... A cette époque il y a eu l'Affiche Rouge, par laquelle la propagande nazie a tenté de faire passer de véritables résistants pour des terroristes. Aujourd'hui, la propagande ne vaut guère mieux qui tente de faire passer de véritables terroristes pour des résistants (tous les jours, votre journal et d'autres parlent de "la résistance du Hezbollah" : certes, l'expression n'est pas critiquable par elle-même à s'en tenir au dictionnaire, mais que de sous-entendus ! et que dire des "activistes", et même des "militants" du Hezbollah, comme on les appelle à présent dans les rédactions ! Avez-vous au moins vu, de vos yeux, ne serait-ce que sur les photos qui en témoignent, l'énergie avec laquelle ces types-là font le salut nazi ?)

Pour revenir à votre dessin, pardonnez ma franchise mais il me semble que par ses sous-entendus visant les Juifs il fera date dans l'histoire des ignominies avérées de votre journal.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de ma considération distinguée,

Anatole

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Edito de Philippe Val (Charlie Hebdo, 19 juillet 2006)

Aux Israéliens, il n’arrive jamais rien. Ils vivent heureux et en sécurité, entourés de voisins charmants qui s’appellent Syrie, Hezbollah, Hamas. Ces braves gens ne feraient jamais de mal à une mouche.

Mais comme l’Israélien a le fond méchant, il passe son temps à massacrer et à emprisonner les enfants des voisins.

Le leader chiite Hassan Nasrallah est un héros au sourire si doux. Il vient juste de foutre le feu à la région, mais évidemment, c’est de la faute d’Israël.

Israël n’est jamais agressé. Israël n’est jamais en danger. Israël a toujours tort.

La cruauté ontologique de l’Israélien, au fond, est rassurante. Elle permet de mesurer à quel point on est du côté du bien, de la générosité, de l’irréprochable.

Vous voulez qu’on vous trouve sympa et militant d’une gauche couillue et courageuse ? Portez un tee-shirt du Hamas à Paris-Plage.

Que l’on critique les décisions du gouvernement israélien, qu’on juge les ripostes excessives ou non, c’est une chose. Mais qu’on se donne au moins la peine de rappeler que le camp adverse - en l’occurrence, le Hezbollah et sa jonction avec le Hamas - a aussi quelques responsabilités dans l’histoire.

Pour les ambitions du Hezbollah - à savoir, fédérer, pour le compte de l’Iran, une grande force panislamiste -, une paix entre Israéliens et Palestiniens serait une catastrophe.

Ils font donc tout pour qu’une guerre fédératrice éclate, pendant laquelle l’Iran se hâtera d’achever son projet nucléaire. Qu’on parle de réalité, au lieu d’en taire sans cesse la moitié.

A moins d’annoncer la couleur et d’avouer qu’on travaille dans un organe de propagande. Ce qui n’est pas le cas de Charlie.

Philippe Val
© Charlie Hebdo

2 commentaires:

jéjé a dit…

Anatole, juste une question: Qu'avais-tu pensé des "célèbres" caricatures de Mahomet?

Où est passé le célèbre humour juif... franchement tout se perd c'est consternant...

Anatole a dit…

Le coup d'accuser les Juifs d'avoir perdu leur humour parce qu'ils ne rient pas aux insultes qui leur sont faites est un classique du genre. Quant à la comparaison avec l'affaire des caricatures de Mahommet, ce qui est frappant c'est justement à quel point les réactions sont différentes : délirantes jusqu'à l'émeute dans un cas, attristées mais totalement ignorées dans l'autre.

Anatole